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Cycle de conférences données dans les locaux de la Faculté de Droit

35, Avenue Alphonse Daudet 83000 TOULON


 2024-2025

                                                                     

Les pouvoirs de l’imaginaire

L’humain n’est pas qu’un être qui s’adapte, c’est aussi un être qui s’invente. Il crée un monde fait d’idées, d’images, de représentations qui s’inscrivent dans un lieu, dans un temps et produisent « des réalités imaginaires » qui régissent les rapports humains et leur relation au monde.
L’imaginaire, varie en fonction des cultures et de l’évolution des sociétés et ne peut cesser d’être questionné et réinventé. Le contemporain, s’il veut renouveler le réservoir magnifique de l’imaginaire, doit trouver d’autres images, d’autres idées, d’autres modes de représentations.
Si nous nous appliquons à travailler le cœur vivant de la pensée humaine, nous ne mourrons pas fatigués de ce monde.

V

Rapport moral année 2024-2025 par la Présidente du Collège Méditerranéen des Libertés

 

 

Avant toute chose, je voudrais remercier nos intervenants au nombre de 11 : Boris Cyrulnik, François Ost, Georges Vigarello, Jean-Eric Aubert, Lauric Henneton, Jean-Marie Guillon, Véronique Nahoum-Grappe, Christian Ingrao, Andrea Rea, Alain Ruscio et Myriam Watthee-Delmotte .

Je voudrais remercier toute l’équipe du CML dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Et enfin, vous remercier, vous, cher public, qui nous accompagnez dans une aventure exigeante qui fête cette année ses trente ans d’existence. Nous n’oublions pas, bien sûr, la collaboration et le soutien de la mairie et de l’université de Toulon qui nous ont accompagnés tout au long de ces années.

Mais revenons à notre thème qui a magnifiquement tenu ses promesses. Infiniment riche, nous ne pouvons que constater que nous sommes loin de l’avoir épuisé.

 

Pour mémoire, je pense qu’il n’est pas inutile de revenir à ce que l’on entend par imaginaire :

L’imaginaire est l’ensemble des représentations que les humains se sont faits et se font de la nature et de l’origine de l’univers qui les entoure, des êtres qui le peuplent ou sont supposés le peupler, des humains eux-mêmes pensés dans leurs différences ou leurs représentations. Il s’agit d’un monde fait d’images, de représentations de toutes sortes avec pour origine la pensée.

 

Entrons dans notre cycle

L’imaginaire mais pas pour le meilleur

 

Les humains pensés dans leurs différences vont former un corpus essentiel de notre cycle. Si ce qui fait un monde en ordre comme l’était l’Arche de Noé dans lequel tous les êtres étaient représentés et protégés, il n’en est pas de même pour les humains qui instrumentaliseront les différences pour le pire et les représentations utilisées- je pense aux affiches de propagande antisémite qui circulent en Allemagne dès les années 20- autoriseront la discrimination et le permis de tuer. Si nous remontons le temps jusqu’à la conquête le l’Amérique nous allons trouver un document que nous a projeté G. Vigarello montrant des indiens livrés aux chiens. Quoi de plus normal en somme ! Quoi de plus normal que le commerce triangulaire ! Quoi de plus normal que la naissance de la pensée coloniale à l’œuvre en Algérie dès la première guerre de 1830 1852 avec son cortège de massacres pour le pire et discrimination pour les plus chanceux ! Et pensons aujourd’hui à la représentation que veut donner Poutine à son peuple des ukrainiens.

Ainsi donc les racines multiséculaires de toutes les formes de racismes ont la vie dure et ont une formidable pouvoir dans l’imaginaire collectif. Puissance qui déborde, contamine la question du statut de l’immigré. Nous avons fort à faire pour contrer cet imaginaire.

 

En marge des imaginaires furieux des régimes totalitaires mobilisateurs de tout un peuple, survivent des imaginaires qui cèdent le pas à la nostalgie et qui ne travaillent plus le cœur vivant de la pensée humaine. Ils sont en panne comme chez la vieille dame dont nous a parlé Véronique Nahoum-Grappe. Que voulait la vieille dame ? Retrouver le village de son enfance. Or, Son village n’est plus ce qu’il était et son enfance aussi. Elle est l’exemple même d’un imaginaire complètement détaché du réel et qui donc fonctionne à vide. Nous entrons là dans le domaine de la désolation.

 

Certains hommes n’ont pas besoin d’être représentés, ils font très bien cela eux-mêmes. On n’est jamais mieux servi que par soi-même semble penser Trump. Se présentant comme « faiseur de miracles » nous a expliqué Lauric Henneton. Il dit en somme que le monde n’a plus besoin d’être pensé, il suffit de croire en lui. Que viendrait faire la raison dans ce qui relève de l’ordre de la foi ? Il peut donc tout dire et son contraire dans un même élan et malmener des valeurs qui sont autant de conquêtes faites par les hommes et les femmes qui se pensent ou se pensaient égaux en droits. Mal leur en a pris…

 

L’imaginaire pour le meilleur et aussi pour le pire

 

Les représentations des lointains, du bestiaire fantastique des terres inconnues, des humains qui les peuplent dans leur diversité, dans leurs différences, tout était dans la conférence de Georges Vigarello. En somme, un voyage dans le temps et dans notre imaginaire avec ce que les hommes ont inventé pour aller au-delà des frontières visibles. Quelle épopée !

 

Représentation pour le meilleur avec la fabrique des héros dont nous a parlé Jean-Marie Guillon. Ils ont bel et bien existé mais ils sont aussi ce que nous avons fait d’eux. Je pense au très fameux discours d’André Malraux s’adressant à Jean Moulin comme s’il était vivant : » Entre ici, Jean Moulin avec ceux qui sont morts sans avoir parlé comme toi mais ce qui est encore pire avec ceux qui ont parlé.

 

Imaginaire pour le meilleur. Parce que l’homme sans imaginaire est un homme nu, réduit au seul réel , il fait des projets savants pour aller au-delà des frontières du visible ( astronomie, génome humain…). L’imaginaire invite les humains à la création et à des représentations inédites ou inouïes qui les libèrent des idées reçues et les émancipent.

 

Pour le meilleur aussi parce qu’il est doté d’une efficacité sociale essentielle qui se matérialise dans des institutions qui cimentent notre société comme le droit qui a des racines multiséculaires dont nous a parlé François Ost. Notre imaginaire s’incarne dans des réalités matérielles (notre drapeau, la balance de la justice) que chacun peut reconnaître. Il s’incarne aussi dans des rites comme les rites funéraires, dans des pratiques. Pensons aux manifestations dont certaines sont de triste mémoire comme les grands messes nazis ou fascistes qui mobilisaient le corps tout entier de chaque homme pris individuellement mais aussi le corps social tout entier embrigadé, subjugué, vide de pensée et totalement habité par un imaginaire qui conduira au désastre que l’on sait.

 

Pour conclure, nous sommes coincés entre un passé lourd d’une multitude de représentations et l’avenir. Le passé ne peut être ignoré et il aura toujours à se justifier. Tous les historiens que nous avons entendus ne nous ont pas dit autre chose. Le passé n’a donc pas d’autorité absolue sur le présent, nous pouvons en faire un autre usage, et nous pouvons commencer quelque chose ensemble qui sera de l’ordre de la création d’un imaginaire du temps présent. Fragile, tremblant, mais infiniment vivant, infiniment libre.

 

Pour illustrer mon propos, je voudrais finir par cet extrait du chant d’Ariel de La Tempête de Shakespeare

 

Par six brasses sous les eaux

Ton père englouti sommeille

De ses os naît le corail

De ses yeux naissent des perles

Rien chez lui de corruptible

Dont la mer ne vienne à faire

Quelque trésor insolite.

 

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© 2015 par Tommprod

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